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La population chinoise du Laos
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Auteur:  suryap [ Lun Aoû 06, 2007 10:33 am ]
Sujet du message:  La population chinoise du Laos

Ces-nouveaux-migrants-chinois-d-asie-du-sud-est (LE MONDE)


La population chinoise du Laos

Extrait d'un article de Florence Rossetti "Perspectives chinoises"

http://www.cefc.com.hk/index.php

La population chinoise du Laos a toujours représenté des effectifs restreints en comparaison avec les chiffres imposants qu’arborent les autres communautés chinoises du reste du Sud-Est Asiatique. Il semble que l’absence de littoral, le relief montagneux et la jungle aient rendu ce territoire peu propice au développement du commerce, attirant de ce fait moins de négociants chinois que ses voisins immédiats, le Vietnam, le Cambodge et la Thaïlande. Malgré son faible nombre, la diaspora chinoise au Laos possède néanmoins une histoire et une identité propres et tient une place particulière au sein de la société laotienne contemporaine.
L’existence de groupements de population chinoise au Laos est mentionnée dans les premiers récits d’exploration antérieurs à l’établissement du protectorat français (1893). Mais ce n’est qu’avec le développement économique induit par la colonisation que les effectifs ont crû de façon significative ; à tel point qu’à partir des années 50, les Chinois du Laos étaient devenus une minorité ethnique urbaine dominant la vie économique des villes laotiennes de Paksé à Luang Prabang.
Les changements politiques de 1975 ont entraîné l’exode massif de la plupart de ses effectifs vers l’étranger, compromettant la constitution, alors en cours, d’une société spécifique sino-lao au sein des centres urbains du pays. La composante chinoise de la population du Laos serait passée de 100 000 personnes (1) avant le changement de régime à environ 10 000 aujourd’hui, effectuant un redéploiement diasporique aux quatre coins du monde. Par la suite, la détérioration des relations diplomatiques entre la Chine et le Laos à partir de 1978 et l’alignement de ce dernier sur le Vietnam, contribua à rendre encore plus inconfortable la position de ceux qui n’avaient pas pu quitter le territoire laotien.
Depuis la fin de la guerre froide, la péninsule indochinoise est entrée dans l’ère de la reconstruction et de la coopération sous les auspices d’une Chine désormais convertie au culte du capitalisme. La stabilisation géopolitique actuelle de la région permet une renaissance de la communauté chinoise du Laos dans un contexte d’afflux des investissements et d’accélération des échanges de toute nature en provenance du monde chinois (Chine populaire, Taiwan, Singapour, Chinois de la diaspora, communauté sino-thai…). La conscience identitaire des communautés chinoises du Laos, longtemps mise en sommeil, est soudainement stimulée par ces interactions inédites qui sont autant de promesses de reconnexion à la prospérité des « cousins » de la diaspora mais aussi aux nouvelles dynamiques en provenance de la Chine continentale. Porteuse d’un second souffle pour les Chinois du Laos, l’arrivée de ces nouveaux acteurs est aussi en train de modifier progressivement les données traditionnelles de leur présence au pays du million d’éléphants (2). L’objectif de cet article est donc, après un bref rappel historique, de dresser un bilan de la situation des Chinois du Laos et d’analyser les dernières tendances qui émergent dans une conjoncture géopolitique et économique en pleine mutation.

La constitution du fait chinois au Laos : des dynamiques distinctes au nord et au sud

C’est à la fin du XIVe siècle que le royaume du Lane Xang (3) commença à payer un tribut à la Chine et que s’instaurèrent des relations diplomatiques suivies. Ces rapports hiérarchiques entre les deux pays devaient perdurer, au moins formellement, jusqu’au milieu du XIXe siècle. Au cours de cette dernière période la révolte des musulmans du Yunnan contre la dynastie Qing rendit impossible toute communication avec l’Empire du Milieu et entraîna de ce fait la fin du tribut à Pékin. Au cours de ces siècles d’allégeance, la Chine n’éprouva pas le besoin de siniser ce petit pays frontalier. En effet, à l’inverse de leur stratégie au Vietnam, les Chinois n’entreprirent jamais la colonisation du Laos et choisirent plutôt de lui faire jouer un rôle d’Etat tampon.
La présence chinoise au Laos n’est donc pas liée à sa vassalité passée envers la Chine. Elle est survenue ultérieurement et répond d’ailleurs à des problématiques distinctes au nord et au sud du pays.

Le centre et le sud : berceau des communautés chinoises du Laos

Au sud du territoire laotien, l’implantation de populations chinoises résulte d’une vague migratoire en provenance des provinces chinoises méridionales qui submergea toute la péninsule indochinoise au début du XXe siècle. Poussée par l’extrême confusion politique et économique qui régnait alors en Chine du Sud, une foule de migrants s’embarqua en direction des ports de Saïgon ou Bangkok. Après un premier séjour plus ou moins long et fructueux au Vietnam, au Cambodge ou en Thaïlande, une partie de cette population optait pour un second voyage plus en avant dans les terres, jusqu’au sud Laos. Attirés par l’expansion économique et le développement urbain générés par la colonisation française, les migrants chinois en quête d’opérations commerciales vinrent surtout alimenter la population des villes naissantes du centre et du sud Laos (Vientiane, Thakhek, Savannakhet, Paksé). La plupart des effectifs étaient constitués alors par des Téochiu (Chaozhou) et des Hakka (Kejia), originaires de la province chinoise du Guangdong ou encore par des Hainanais.

Ce flux migratoire, qui s’intensifia à la fin des années 30, puis au cours des années 50 (4), déboucha progressivement sur une organisation communautaire structurée autour d’institutions sociales telles que l’école, le temple et surtout le système des congrégations (5). Ces nouveaux migrants se positionnèrent très rapidement comme les acteurs incontournables de la vie économique laotienne. Ils s’attirèrent de ce fait la bienveillance des autorités coloniales françaises de l’époque, alors soucieuses de dynamiser les échanges au sein de l’ensemble indochinois.
Avec l’indépendance survenue en 1954, les Chinois, habitués à jouer le rôle de partenaires du colonisateur, ajustèrent leur position auprès du nouveau gouvernement national et conservèrent leur place privilégiée au sein de la société laotienne. Actifs et influents, ils maintinrent leur contrôle sur des pans entiers de l’économie locale tant dans les secteurs bancaire, industriel que commercial.

Afin d’accroître la fluidité de leurs activités dans le pays, certains n’hésitèrent pas, à partir de 1959 (6), à prendre la nationalité laotienne. A l’image des Chinois de Thaïlande (7), les classes les plus aisées adoptèrent des stratégies d’alliance matrimoniale avec de grandes familles laotiennes, échangeant au travers de ces unions leurs compétences commerciale et financière contre le capital plus symbolique de la reconnaissance sociale. Cependant, ces mariages inter-ethniques n’aboutirent pas à une assimilation des Chinois au Laos, mais plutôt à l’émergence d’une nouvelle identité hybride dite sino-lao puisant ses références dans les deux registres culturels. En marge de cette élite, cohabitaient dans les villes d’autres groupes aux objectifs variés n’impliquant pas la même stratégie identitaire : trafiquants aux objectifs à court terme, main-d’œuvre yunnanaise attirée par les chantiers et l’industrie naissante, artisans, petits commerçants…
La révolution de 1975 porta un coup d’arrêt brutal à la mainmise des Chinois sur le monde des affaires, entraînant leur exode massif à l’étranger. En effet, leur position sociale et leur appartenance politique (8), plus que leur ethnicité, faisaient d’eux les cibles objectives du nouveau régime socialiste. Ils trouvèrent alors refuge un peu partout en Asie et en Occident, en France en particulier (9).

Des provinces septentrionales sous influence

Les sources de la présence chinoise au nord sont radicalement différentes de celles du sud du pays. En effet, le dispositif géographique accidenté et le mauvais état des voies de communication entravèrent la progression des migrants chinois, ayant initialement pénétré par le sud, vers les régions enclavées du nord. En revanche, ces dernières subissaient au même moment une influence plus directe des zones frontalières chinoises. Au cours du siècle dernier, les actuelles provinces de Phongsaly, Luang Namtha et Oudomxay, ont reçu par voie de terre une population chinoise en provenance du Yunnan voisin. La majorité des arrivants a longtemps été constituée par des caravaniers, des trafiquants, quelques boutiquiers, puis en 1949 par des soldats du Kuomintang fuyant l’Armée populaire de libération (APL). Par ailleurs, vers 1954, la victoire communiste au Nord-Vietnam repoussa dans cette partie du Laos des populations chinoises précédemment installées dans la région de Mon Kay.

Les années 60 virent l’arrivée massive dans la région des troupes de l’APL pour la mise en place d’un vaste programme de construction routière. Celui-ci, qui dura plus de 10 ans, servait directement les intérêts stratégiques de la Chine en cas de conflit régional. Mais le refroidissement des relations diplomatiques entre la Chine et le Laos au début des années 80 entraîna le retrait des coopérants chinois, soit, selon les estimations entre 5 000 et 15 000 hommes (10). Simultanément, le pouvoir lao resserra son emprise sur la population chinoise civile restante, alors soupçonnée d’activisme politique. Ces pressions entraînèrent une nouvelle vague de départ compromettant les rares ferments communautaires à l’œuvre à Luang Prabang, Oudomxay et Xieng Khouang.

Au total, la proximité de la Chine et la circulation depuis plus d’un siècle de nombreux ressortissants chinois dans cette partie du pays n’ont pas donné lieu à la constitution d’une communauté chinoise durable et structurée autour d’institutions. Il semble plutôt que le fait chinois au nord ait longtemps fluctué au gré des ambitions stratégiques du « puissant voisin » dans une région qu’il considère traditionnellement comme entrant dans sa sphère d’influence. Aujourd’hui, si la présence massive de militaires chinois n’est plus d’actualité, c’est néanmoins sur la base des infrastructures construites par l’APL il y a 20 ans qu’une nouvelle pénétration économique chinoise s’effectue.

La rupture relative des tendances bipolaires

Depuis le début des années 90, la Chine et le Vietnam ont laissé de côté leurs querelles idéologiques devenues obsolètes après l’effondrement de l’URSS pour se consacrer plus pleinement à leur développement économique. Les fractures politiques qui morcelaient la péninsule indochinoise depuis plusieurs décennies sont en voie d’apaisement et l’heure est désormais à la reconstruction, la coopération et l’afflux d’investissements. Dans ce nouveau contexte géopolitique, le Laos assiste en particulier à une multiplication des influences en provenance du monde chinois transcendant progressivement les tendances bipolaires qui caractérisaient jusqu’alors le fait chinois dans ce pays.

Le nord dominé par les ambitions stratégiques du Yunnan
Depuis la normalisation de ses relations avec la République démocratique populaire lao en 1986 et l’entrée dans l’ère du socialisme de marché, la Chine a troqué sa politique traditionnelle de neutralisation militaire du nord du Laos contre une influence qui se veut plus économique et qui vise désormais l’ensemble de la péninsule indochinoise.
Le Yunnan, de par sa position géographique, est la première province chinoise concernée par cette stratégie d’ouverture de nouvelles voies de pénétration vers le sud, condition sine qua non de son désenclavement économique. Sociétés d’Etat et entrepreneurs privés (communément désignés en Chine par l’expression getihu (11)) partent à l’assaut de ce nouvel eldorado.

La reprise des échanges frontaliers
Il existe officiellement deux postes frontières établis à Muang Xing et à Borten reliant la province de Luang Namtha à celle du Yunnan. Face à l’augmentation de la circulation des personnes et des marchandises, d’autres postes fonctionnent plus officieusement le long de la frontière sino-lao. C’est le cas à Phongsaly. Les allées et venues sont facilitées par un système de laissez-passer réservé aux frontaliers. Cela permet à nombre d’entre eux de pénétrer au Laos sans visa, dans un périmètre défini dont les limites ne sont pas toujours respectées (12). Le manque de surveillance rapprochée de la frontière permet le développement de nombreux trafics illicites (bois, stupéfiants, véhicules, pièces détachées…) organisés par les frontaliers qui mettent à profit leur connaissance du terrain et leurs relations avec les minorités peuplant toute la région. Ainsi, à Phongsaly deux familles d’origine yunnanaise contrôlent l’économie de la ville (13). Elles servent de relais aussi bien aux entrepreneurs privés du Xishuangbanna (14) en quête de marché dans la région qu’aux officiels chinois en visite.

La « sinisation économique » en cours dans les provinces du nord
Simultanément, les provinces de Luang Namtha et d’Oudomxay connaissent depuis quelques années une reprise spectaculaire de la construction routière dont les maîtres d’œuvre et les futurs bénéficiaires sont principalement les entreprises d’Etat du Yunnan. Une voie rapide reliant Borten à Houexai (15) est en cours de réalisation et devrait prochainement permettre à l’économie en pleine croissance du Yunnan d’accéder au marché du nord de la Thaïlande se ménageant à terme un accès à la mer.
Mais les investisseurs ne considèrent pas seulement le Laos comme une simple zone de transit vers d’autres marchés ou encore une plaque tournante de redistribution de la contrebande régionale. Des entreprises venues de Chine initient des projets au nord du Laos même : infrastructure hydraulique, prospection minière, plantations à haut rendement (16), usine textile.
En marge des sociétés d’Etat chinoises, on trouve aussi des particuliers qui, souhaitant s’ancrer plus durablement, s’orientent plus volontiers vers l’hôtellerie, l’ouverture de boîtes de nuits et de restaurants et prennent souvent en main divers commerces ou trafics. Ainsi, des villageois laotiens rapportent que parmi les getihu qui s’aventurent dans la région, certains organisent la collecte à grande échelle de produits de la forêt prisés en Chine pour leurs vertus médicinales. Des espèces protégées font régulièrement l’objet de transactions garantissant aux instigateurs de ce trafic des gains importants.
Au total, en l’espace de quelques années, les centres urbains de Namtha et d’Oudomxay ont commencé à prendre des allures de villes chinoises où les idéogrammes s’affichent au dessus des devantures et où l’emploi de la langue chinoise supplante parfois celui du lao. Pour l’instant, la population reste essentiellement masculine. Les quelques femmes chinoises qui sont parvenues dans la région sont souvent des prostituées enrôlées plus ou moins librement par les hôtels ouverts récemment. Rares sont les entreprises, à l’image de l’usine textile de la ville de Namtha, qui comptent des ouvrières ou encore des cadres venus en famille.
Néanmoins, c’est une véritable « sinisation » de l’économie du nord du pays qui est en cours, avec une importation massive de capitaux, de technologies et de main- d’œuvre.

Les limites de l’influence chinoise à Luang Prabang, ville symbole de l’identité lao
La visibilité de l’influence chinoise se fait plus discrète dans la ville de Luang Prabang récemment désignée par l’UNESCO comme une composante du patrimoine mondial et qui symbolise le cœur de l’identité culturelle lao. D’autres villes du nord chargées de références historiques pour le pouvoir lao sont maintenues à l’écart de l’influence yunnanaise. C’est le cas de Xieng Khouang et de Samneua qui abritaient pourtant avant 1975 de nombreux Chinois.

Malgré cette politique restrictive, les entreprises yunnanaises parviennent quand même à s’implanter à Luang Prabang où elles ont remporté plusieurs appels d’offre dont la construction du stade de la ville et l’octroi de concessions minières. Une clinique chinoise (17) y a ouvert ses portes en 1992 afin de dispenser aux travailleurs chinois expatriés des soins de santé adaptés à leur demande. L’ensemble des ouvriers et des coopérants en provenance de Chine populaire est estimé à 300 personnes, en provenance des villes de Pu’er et de Jinhong.
En marge de ces effectifs fluctuants, une communauté chinoise plus ancienne a subsisté jusqu’à nos jours. Dominée à l’origine par les congrégations téochiu et hainanaise, sa composition ethnique s’est profondément modifiée au fil du temps, pour laisser place aujourd’hui à une majorité de familles d’origine yunnanaise. Ce changement radical tient aux faits suivants : tout d’abord, les commerçants téochiu et hainanais de Luang Prabang ont fui massivement le pays dès 1975. Au cours des années qui suivirent le changement de régime, de nombreux Yunnanais (18) précédemment implantés à Phongsaly ou encore Oudomxay ont pris le chemin de Luang Prabang afin d’échapper aux conditions de vie de plus en plus difficiles qui prévalaient dans les régions du nord Laos, venant ainsi se substituer aux riches communautés parties à l’étranger. Aujourd’hui, l’Association des Chinois de Luang Prabang estime l’importance de la communauté à 539 individus dont 122 personnes toujours porteuses de la nationalité chinoise.

Les communautés du centre et du sud prises dans un faisceau d’influences
Alors que le nord du pays subit l’emprise quasi exclusive du Yunnan voisin, la présence chinoise au centre et au sud se caractérise par une plus grande multiplicité d’acteurs.

La descente des entreprises yunnanaises vers la capitale laotienne
L’avancée du Yunnan au Laos touche aussi Vientiane, où elle est relayée par des accords politiques visant à la promotion des échanges. En février 1996 une délégation conduite par le secrétaire du Comité provincial du PCC s’est rendue à Vientiane. Sa mission était d’encourager le développement des échanges dans les domaines économique, commercial, de la communication, des sciences et technologies, de l’éducation et du tourisme. Ce genre de démarche, qui se multiplie depuis plusieurs années, semble porter ses fruits puisque de nombreuses compagnies publiques yunnnanaises sont désormais présentes dans la capitale du Laos. Parmi les plus notables installées se trouve la Yunnan-Lao Forestry Devel. Co. Ltd. qui s’illustre dans le secteur primaire avec un apport de 5,1 millions de dollars. La Lao-Yun Co Ltd., producteur d’explosifs destinés à des fins civiles, détient un capital de 3,2 millions de dollars. Enfin la Yunnan Airlines vient de devenir le principal actionnaire de la Lao Aviation Joint-Venture Company Ltd. avec un apport de 4,5 millions de dollars sur un capital total de 7,5 millions. La direction et les postes clefs reviennent désormais à des ressortissants chinois de Kunming, la capitale provinciale du Yunnan. Les expatriés yunnanais forment à Vientiane une communauté fermée qui entretient peu de relations avec les anciennes communautés. Cependant, lors de l’embauche du personnel local, ils privilégient les candidats diplômés de l’école chinoise de Vientiane pour leur maîtrise du mandarin.

La poussée des autres provinces chinoises sur le centre et le sud du pays
La province côtière du Guangdong et l’île de Hainan envoient aussi régulièrement des missions d’étude et participent à la création de nombreuses joint ventures (19) dans la région de Vientiane et au sud du pays. Sources traditionnelles de la migration chinoise au Laos, elles sollicitent parfois la collaboration de l’ancienne communauté chinoise en plus des canaux officiels de l’Ambassade de Chine. Par exemple, au cours de l’année 1996 Vientiane a reçu une délégation en provenance de Hainan conduite par le vice-directeur du bureau en charge des relations avec les Chinois d’outre-mer.
Savannakhet accueille depuis 1993 le complexe hôtelier Nan Hai Da Jiudian (en provenance du Guangdong) et de la Lao-Chin Sokdy Tobaco Co. Ltd. (à capitaux hainanais). Leur présence n’est pas bien acceptée par une partie de l’ancienne communauté qui craint leur concurrence. A l’inverse, certaines familles sino-lao ont su tirer partie de ces nouveaux arrivants et affirment qu’ils participent au regain de dynamisme ambiant à Savannakhet. La Lao-chin Sokdy Tobaco Co. Ltd. est un exemple édifiant d’alliance entre des investisseurs sino-thai, sino-lao et de Chine populaire. Apparemment, les transactions entre Savannakhet et les provinces côtières de Chine continentale sont promises à un bel avenir puisqu’un projet d’ouverture d’un consulat chinois pour 1998 est en cours de négociation.
D’autres régions chinoises qui n’ont aucun lien historique avec le Laos commencent à envoyer des délégations et des entreprises, attirées par le nouveau contexte diplomatique favorable qui unit les deux pays. Ainsi, une entreprise de Tianjin réalise la construction de la route n°13 de Thakhek à Pakkading et le tronçon de Xeno à Savannakhet. Rappelons qu’en novembre 1996 les relations entre Pékin et Vientiane ont atteint un niveau sans précédent avec la visite officielle de Qiao Shi, le Président de l’Assemblée nationale populaire de la République populaire de Chine. Plus récemment le vice-ministre chinois du commerce extérieur, Mme Li Guohua, s’est rendue à Vientiane, réaffirmant la volonté de renforcer la coopération entre les deux pays.
Des acteurs marginaux : la présence timide de getihu et l’arrivée discrète d’investisseurs taiwanais
En marge des accords officiels et des entreprises publiques de Chine populaire, quelques getihu en provenance du Guangdong et du Yunnan viennent aussi tenter leur chance à Vientiane. Mais l’opacité des procédures administratives et l’existence d’un cadre légal contraignant dissuadent nombre d’entre eux d’entreprendre des opérations de grande envergure. Vientiane est loin de ressembler à Phnom Penh où déferle depuis quelques années une foule d’aventuriers à l’affût de profits immédiats dans un contexte de corruption et d’absence de législation exceptionnelles. Néanmoins, on relève dans la capitale du Laos quelques cas d’investissements privés : ateliers de confection, centre de remise en forme, hôtels, restaurants… mais rien de bien spectaculaire. Les ventes de produits chinois portent surtout sur les véhicules, les appareils électroménagers, et la petite machinerie (générateurs, pompes à eau…).
D’autre part, une petite communauté taiwanaise est en voie de reconstitution au Laos. Si avant 1975 la présence taiwanaise au Laos était essentiellement liée à l’activisme politique au sein des communautés chinoises (20), les nouveaux venus poursuivent des fins uniquement lucratives. Ainsi la restauration, le tourisme et le commerce du bois apparaissent jusqu’à présent comme leurs principaux secteurs d’activités.
Le réveil du dynamisme économique des anciennes communautés chinoises
Parallèlement à l’émergence de tous ces nouveaux acteurs dans le paysage économique laotien, on assiste après des années d’interruption à une reprise des échanges traditionnels entre les communautés sino-lao et sino-thai. En effet, depuis que le gouvernement laotien a de nouveau autorisé l’existence d’un secteur privé en 1990, les communautés de Chinois d’outre-mer de part et d’autre de la frontière lao-thaïlandaise ont repris une collaboration fructueuse. De Vientiane à Paksé, la majeure partie des importations de biens de consommation et des matières premières en provenance de Thaïlande transite par ces réseaux largement dominés par les Téochiu. Les communautés chinoises des villes laotiennes en bordure du Mékong ont toujours entretenu d’étroites relations commerciales avec des parents installés sur la rive opposée. Aujourd’hui, ce courant d’échange traditionnel reprend entre Paksé et Ubon Ratchathani, Savannakhet et Mukdahan, Thakhek et Nakhon Phanom et enfin Vientiane et Nong khai.
Mais, si ces échanges participent au réveil économique de la communauté sino-lao, ils ne s’accompagnent pas pour autant d’une reprise démographique en son sein. Au contraire, officiellement les effectifs recensés par les associations de résidents chinois ne cessent de diminuer. Les sources traditionnelles d’immigration sont taries (21) et si les membres exilés à l’étranger soutiennent financièrement les familles, ils ne reviennent que rarement. Les quelques individus qui ont suivi le chemin du retour, le font souvent dans le cadre d’investissements d’entreprises étrangères où ils conservent un statut d’expatrié. Ainsi, l’Association des Chinois de Paksé comptabilise seulement 124 personnes de nationalité chinoise et estime l’ensemble de la communauté sino-lao à environ 400 personnes. Par contre, elle signale l’arrivée de 200 personnes en provenance récente de Chine populaire dans le cadre d’accords de coopération. L’Association des Chinois de Savannakhet a recensé pour sa part au 30 décembre 1996, 558 inscrits dont 300 hommes et 258 femmes répartis en 142 familles. Au total, l’ensemble de la communauté chinoise de la ville est estimée à environ 800 individus toutes nationalités confondues. Les responsables de l’association expliquent que depuis la réforme économique, nombreux sont ceux qui ont demandé la nationalité laotienne afin de faciliter l’exercice d’un commerce ou d’une industrie (22). Aussi, les chiffres officiels de l’importance démographique des huaqiao sont fonction inverse de la reprise spectaculaire de l’activité commerciale des familles d’origine chinoise.
Malgré cela, la reprise générale des affaires, le retour d’anciens membres de la communauté sino-lao et l’arrivée de joint ventures chinoises concourent à un mouvement de renaissance des institutions de la communauté chinoise. Les locaux des Associations de résidents de Vientiane, Savannakhet et Paksé, de même que les écoles et les temples ont été rénovés. Ainsi prises dans un faisceau d’influences, les anciennes communautés chinoises du sud se reconstruisent peu à peu une identité morcelée par des années de répression.

La dimension identitaire : la gestion stratégique d’une double appartenance

Longtemps réprimés, les Chinois du Laos restent vigilants quant à leur affirmation identitaire face au pouvoir lao. S’identifiant plus à la communauté sino-lao en elle-même, ils entretenaient traditionnellement un rapport secondaire avec la Chine. Plus récemment, l’afflux de nouveaux arrivants du monde chinois a apporté un second souffle à ces anciennes communautés qui semblent amorcer un mouvement de « resinisation » afin de faciliter leur accès au monde des affaires. Mais, conscients du rôle d’intermédiaire qu’ils peuvent jouer, ils continuent à s’impliquer simultanément dans la culture et la vie sociale laotiennes.

La persistance d’un statut précaire
Les marques d’un passé répressif encore récent
Essentiellement urbains et commerçants, les Chinois furent longtemps considérés par le Pathet Lao comme un groupe cible devant être démantelé. A partir de 1975, ils furent soumis à un encadrement strict qui s’amplifia encore au début des années 80, après le déclenchement des hostilités entre la Chine et le Vietnam.
Partout dans le pays, toute manifestation extérieure de la culture chinoise fut réprimée : c’est ainsi que les effectifs des écoles chinoises et le contenu de l’enseignement furent largement laocisés. Les traditionnelles parades colorées du Nouvel An cessèrent. Le paysage urbain se vida des enseignes porteuses d’idéogrammes (23), les publications en langue chinoise furent interdites et les femmes chinoises furent « invitées » au port du sin (24).
Conjointement à cette politique de gommage visuel des communautés chinoises, le gouvernement lao rendit l’accession à la nationalité laotienne presque impossible dans les faits, même si le code de la nationalité l’admettait en théorie.
L’évolution du code de la nationalité
Avant 1975, la loi (25) stipulait que la nationalité lao s’acquérait en principe par la filiation paternelle (article premier de la loi n°138 du 6 avril 1953) et prévalait sur la filiation maternelle. Ainsi un enfant de père étranger conservait généralement la nationalité de son père. Il n’était d’ailleurs pas rare en cas de séparation des époux que le père emporte avec lui ses fils (laissant cependant les filles à la mère).
En ce qui concerne la naturalisation, l’étranger qui la sollicitait devait pouvoir justifier d’une résidence ininterrompue de dix ans au Laos. Le temps de résidence était réduit à cinq ans pour l’étranger né au Laos ou marié à une Lao. Dans un souci avoué de préservation de l’homogénéité et de l’unité nationales, il était indispensable que le naturalisé justifiât de son assimilation à la communauté lao notamment par une connaissance suffisante de la langue. A l’époque, seuls certains individus issus des couches supérieures choisirent de s’identifier au destin et à la culture du pays d’accueil, délaissant leurs racines chinoises.
La condition des femmes était un peu différente ; l’étrangère qui épousait un Lao suivait la condition de son mari (à moins d’avoir déclaré expressément le contraire au moment de son mariage), ce qui a apparemment largement facilité l’acculturation des descendants issus de mariages mixtes dont la mère était chinoise par rapport à ceux dont le père était chinois.
Après l’accession du Pathet Lao au pouvoir, le contenu du code de la nationalité ne fut pas fondamentalement modifié, mais la volonté politique de neutraliser l’activité des étrangers au Laos rendit son application plus restrictive. La naturalisation étant une faveur entièrement laissée à la discrétion du pouvoir politique, sa délivrance fut longtemps suspendue pour les Chinois par crainte de voir s’insinuer un jour dans l’administration et les milieux gouvernementaux des éléments subversifs (26). Ce n’est qu’à partir des années 90, suite à la normalisation des relations sino-lao, que les changements de nationalité ont à nouveau été autorisés.
C’est désormais la loi du 29 novembre 1990 qui réglemente les conditions d’attribution de la nationalité laotienne. Elle se réfère encore largement au jus sanguinis, tout en faisant appel à quelques notions de jus solis.
Aujourd’hui, dans le cas d’un enfant issu d’un mariage mixte, le lien de filiation avec le père ne prévaut plus sur celui de la mère. Ceci facilite l’accession à la nationalité laotienne pour les descendants de père étranger car dans l’année qui suit leur majorité, ils peuvent opter pour la nationalité de l’un ou l’autre des parents.
Pour les enfants nés au Laos de deux parents étrangers résidant au Laos de façon permanente, le droit à la nationalité laotienne leur est reconnu à la majorité. Ainsi, aux dires de l’Association des Chinois de Vientiane, les trois-quarts des jeunes adultes appartenant à la troisième et la quatrième générations seraient actuellement porteurs de la nationalité laotienne.
L’acquisition de la nationalité par naturalisation exige les mêmes conditions qu’auparavant. Aujourd’hui, de nombreux Chinois de la deuxième génération ayant toujours résidé au Laos souhaitent enfin pouvoir obtenir la naturalisation. Cette démarche est motivée par le fait qu’ils n’envisagent plus de retourner en Chine et que leur statut d’étranger au Laos les empêche d’accéder à la propriété de biens immobiliers. Mais la procédure de naturalisation reste difficile et peu de demandes aboutissent. Un haut fonctionnaire laotien d’origine chinoise par son grand-père paternel affirme que la façon la plus sûre d’obtenir la nationalité laotienne n’est pas d’en faire la demande officielle mais de taire systématiquement ses origines jusqu’au jour où l’administration finit par vous considérer par inadvertance comme lao. Il illustre son propos en citant l’exemple d’un cousin germain n’ayant pas adopté cette stratégie d’assimilation silencieuse, et qui s’est lancé depuis plusieurs années dans une procédure de naturalisation officielle sans pouvoir obtenir gain de cause bien qu’étant né et ayant toujours vécu au Laos.
Suite à une enquête menée auprès de l’Association des Chinois de Savannakhet, depuis 1990, 300 personnes auraient néanmoins obtenu la nationalité laotienne dans la province, dont 108 en 1996. Ce mouvement ne concernerait apparemment que les familles aisées ayant les moyens de faire face aux « frais » occasionnés par cette démarche qui implique l’achat d’appuis relationnels au sein de l’administration.
Il s’avère que malgré les récentes mesures juridiques favorisant l’assimilation des descendants, l’obtention de la nationalité pour les Chinois du Laos reste une entreprise aléatoire et dépendant encore largement de l’arbitraire du pouvoir.

Les stratégies identitaires des « Chinois du Laos » face aux « nouveaux Chinois au Laos » : le cas de Vientiane
Cette volonté de bénéficier de la nationalité laotienne n’est pas incompatible avec la permanence voire même la réactivation de l’identité chinoise. Au contraire, dans le contexte actuel de libéralisation économique et de l’afflux de nouveaux investisseurs en provenance du monde chinois, les Sino-Lao semblent vouloir se positionner comme un groupe à l’interface entre les Laotiens et la nouvelle vague d’arrivants, mettant à profit leur double appartenance.

La prise en charge des nouveaux migrants
A Vientiane, l’Association des Chinois sert déjà de relais à des entrepreneurs particuliers en provenance du Yunnan (27) et du Guangdong. Ces petits investisseurs privés sont souvent dans une logique d’immigration temporaire ou définitive au Laos. Pour certains, il s’agit uniquement d’une solution transitoire en attendant l’occasion de pouvoir tenter ultérieurement leur chance en Thaïlande. Ceux qui nourrissent des projets stables s’inscrivent généralement à l’Association des Chinois de la ville qui les accompagne dans le dédale de démarches administratives nécessaires pour devenir résident permanent et obtenir le droit d’exercer une activité privée au Laos.

Les interactions économiques et sociales avec les firmes chinoises du Continent
Si les négociations entre les firmes d’Etat de Chine continentale et le gouvernement laotien sont souvent laissées aux soins de l’ambassade de Chine, un certain nombre d’interactions économiques et sociales peuvent néanmoins être relevées entre la communauté sino-laotienne et les responsables de ces entreprises. La cimenterie de Vang Vieng, dans la province de Vientiane, est une joint venture qui offre un bon exemple de rencontre d’intérêts entre une firme d’Etat du Yunnan et des membres de la communauté chinoise de Vientiane. Cette entreprise sert fréquemment de vitrine pour inciter d’autres investisseurs publics ou privés venus de Chine à collaborer avec les Huaqiao locaux. Ainsi, en décembre 1996, une délégation de la province de Hainan en visite officielle à Vientiane s’est rendue sur le site en question en compagnie de membres influents de l’Association des Chinois de Vientiane. Parmi leurs interlocuteurs figuraient des responsables de l’école chinoise de la capitale et de la fondation chinoise, ayant pris à titre personnel des parts dans la cimenterie.

Ces opérations de séduction ne sont pas rares et plusieurs coopérants ou directeurs de sociétés chinoises du Continent mentionnent leur participation à des journées d’information similaires. En outre, ils reconnaissent être régulièrement invités à des fêtes de bienfaisance organisées par la Fondation des Chinois de Vientiane dont les profits sont alloués au développement des institutions de la communauté (école, temple, maison de retraite, cimetière…).

A travers l’invocation d’une « sinitude » partagée, l’ancienne communauté semble vouloir attirer en son sein de nouvelles ressources humaines et financières. Mais, cette stratégie n’échappe pas aux hommes d’affaires et fonctionnaires chinois qui, tout en acceptant de maintenir un niveau de relation amical avec les Huaqiao du Laos (28), souhaitent aussi s’en démarquer nettement du point de vue de l’appartenance sociale et identitaire. Ils insistent tout particulièrement sur leur statut d’expatrié et les différences linguistiques et culturelles qui les séparent des vieilles communautés chinoises du Laos majoritairement téochiu. Par-dessus tout, ils ne se conçoivent absolument pas comme des migrants mais comme des employés détachés au Laos pour une durée indéterminée.

Le retour au pays de Sino-lao associés à de grands entrepreneurs asiatiques
Si la plupart des responsables d’entreprises chinoises du Continent marquent une distance avec les communautés Huaqiao du Laos, les investisseurs d’origine sino-lao de retour au pays entretiennent des rapports plus complaisants avec les réseaux de solidarité locaux et consentent volontiers à participer au financement des institutions de la communauté chinoise de Vientiane.

Mais cette bienveillance individuelle n’implique pas forcément de collaboration dans les affaires qui passent souvent par des canaux inaccessibles aux vieilles communautés chinoises du Laos. En effet, les Chinois du Laos qui ont quitté le pays en 1975 se sont souvent reconstruit un capital matériel et social dans le second pays d’accueil, abandonnant parfois leur appartenance identitaire sino-lao au bénéfice d’une inscription dans le groupe plus vaste de la diaspora chinoise transnationale. De retour au Laos en qualité d’investisseurs étrangers, ils drainent avec eux des partenaires financiers thaïlandais, taiwanais, singapouriens qui ne se reconnaissent aucune communauté de destin avec la société chinoise locale.
Les actionnaires de la Vientiane Commercial Bank et du Lao Hotel Plaza correspondent à ce modèle d’interactions. Inaugurée en 1993, cette banque est le fruit d’une coopération entre des membres de la diaspora sino-laotienne de retour d’Australie et de Thaïlande et des partenaires taiwanais. Le Lao Hotel Plaza que d’aucuns considèrent comme le plus grand hôtel de la ville, appartient au même groupe. Son principal actionnaire est lui même un ancien Chinois du Laos, installé depuis 1975 en Thaïlande. Dans ce cas précis, l’Association des Chinois de Vientiane n’a pas pu faire jouer la référence au passé pour s’imposer comme un partenaire crédible face à des interlocuteurs aux capacités financières largement supérieures aux siennes et aux références identitaires distinctes.

Les partisans de la réactivation des anciens réseaux
Cependant, malgré les réticences des deux groupes précédemment décrits, le nouvel afflux de ressources humaines et financières bénéficie plus aux vieilles institutions de la communauté chinoise qu’il ne les dessert (voir encadré ci-dessus).
De surcroît, parmi les Sino-Lao récemment revenus de l’étranger, tous ne bénéficient pas d’une assise assez solide pour se permettre de négliger une alliance avec les familles d’origine chinoise restées sur place. Aussi, cette catégorie de personnes mise sur la reconstruction des réseaux de solidarité sino-lao d’avant 1975. Depuis quelques années, certains sont à l’origine d’un large soutien financier des institutions communautaires locales. Cette aide n’est pas à visée exclusivement philanthropique car ils attendent en retour un appui servant à affermir leur position et favorisant à terme leurs propres intérêts.
Ce type d’interaction est particulièrement lisible à l’école chinoise de Vientiane (voir encadré pp. 38-39). A l’initiative d’un homme d’affaire sino-laotien de nationalité française, un album de commémoration du 55e anniversaire de l’école chinoise Liao Du est paru en 1992. L’ouvrage compile des témoignages d’anciens élèves, des photographies d’époque et quelques documents d’archives de l’école. Il souligne aussi l’éclatement diasporique des Chinois du Laos et la force potentielle de ce réseau en présentant de nombreux clichés de membres éminents de la diaspora sino-laotienne réfugiés dans plus de 10 pays (29). La vente de cet ouvrage a servi de base à une collecte mondiale de fonds en faveur de la rénovation de l’école Liao Du. En retour, l’instigateur du projet a pu intégrer l’Association des Chinois de Vientiane et s’assurer ainsi le soutien d’un réseau interne au Laos. Dans ce cas précis, chacun des différents acteurs en présence semble être conscient que la réussite passée des Chinois au Laos s’est fondée sur leur capacité à mobiliser des réseaux. Le maintien de leur identité devient donc un enjeu car c’est en son nom que ces réseaux peuvent être reconstitués et réinvestis.

L’identité des Chinois du Laos : un concept dynamique et stratégique
Au regard de l’enjeu que représente la « sinitude », quelle conscience identitaire et quelles pratiques culturelles les communautés chinoises du Laos entretiennent-elles ?
Les Chinois du Laos s’identifient en premier lieu à la communauté spécifique qu’ils constituent dans le pays d’accueil, en l’occurrence le groupe des Sino-Lao. En ce qui concerne leur origine, une partie d’entre eux semblent avoir marginalisé leur appartenance initiale à un groupe géodialectal particulier (Hakka, Téochiu, Hainanais, Cantonais, Yunnanais…) au profit d’un sentiment d’appartenance à un ensemble plus générique, transcendant les particularismes régionaux.
Par ailleurs, dans le nouveau contexte socio-économique, nombreuses sont les familles qui se reconstruisent une identité chinoise plus classique espérant ainsi pouvoir se rattacher à la dynamique économique suscitée par les nouveaux arrivants du monde chinois. Pour ce faire, ils développent des pratiques culturelles qui ne sont pas une reproduction de rites hérités directement de la culture des ancêtres, mais plutôt une appropriation de « stigmates » d’appartenance à la culture chinoise communément considérés comme les plus marquants. Par exemple, de nombreux parents ne maîtrisant à l’origine qu’un dialecte encouragent leurs enfants à faire l’apprentissage du mandarin.
Néanmoins, cette tendance à la fusion dans un moule culturel uniforme touche beaucoup moins le groupe dominant des Téochiu qui continue à perpétuer ses traditions particulières et à faire jouer ses filières géodialectales dans les pays voisins.

Le cas particulier de l’Association des Chinois de Vientiane
L’Association des Chinois de Vientiane se caractérise par la prédominance quasi absolue des Téochiu. Le président Lim Ching Tia est lui-même d’origine téochiu. La relative diversité qui prévalait au sein de l’Association des Chinois avant la révolution n’est plus d’actualité. Le sous-groupe géodialectal des Hakka qui disposait autrefois d’un représentant au sein de l’Association a presque entièrement disparu avec l’exode de 1975 et les Hainanais et Yunnanais se réduisent aujourd’hui à des effectifs trop restreints pour justifier d’un représentant à part entière. Malgré cette homogénéité, le mandat de l’Association reste de représenter tous les résidents chinois de Vientiane, toutes origines confondues.
Plongée dans un contexte inédit, l’Association oscille actuellement entre plusieurs revendications identitaires en fonction de l’interlocuteur auquel elle s’adresse :
- une revendication d’appartenance à la communauté locale sino-lao qui lui confère une place d’intermédiaire entre les deux cultures ;
- une revendication d’appartenance à une culture chinoise générique, qui se résumerait à la maîtrise du mandarin et de références historiques, morales et conceptuelles communes à l’ensemble du monde chinois afin de se rapprocher des nouveaux arrivants ;
- et simultanément la volonté particulière du groupe majoritaire des Téochiu de perpétuer des traditions plus spécifiques afin de maintenir l’accès à des filières géodialectales ou lignagères (30) plus fermées.
Ainsi, depuis l’ouverture, l’Association joue sur différents registres et multiplie les manifestations culturelles (Nouvel An, tombola, Fête des esprits du sol…) qui sont autant d’occasions de convoquer les différents groupes de Chinois de Vientiane et de mobiliser leurs ressources au profit des institutions communautaires.
Au travers de ses différentes manifestations, la « sinitude » n’apparaît donc plus comme un concept statique et défini mais comme un concept dynamique et en devenir.
Les Chinois au Laos sont passés en moins d’un siècle d’une situation de migrants temporaires à celle d’un groupe ethnique permanent porteur d’une culture hybride et servant d’interlocuteur privilégié au pouvoir lao sur les questions économiques. Leur exode massif en 1975 et la répression qui s’est abattue sur les effectifs restants pouvait faire croire à une disparition certaine de la culture sino-lao. Mais, la fuite à l’étranger d’une grande partie des membres de cette communauté, loin de conduire à son extinction, a eu pour conséquence de lui conférer une dimension transnationale. Aujourd’hui c’est dans cette transnationalité que les Chinois du Laos puisent une partie des ressources qui leur permet de s’affirmer à nouveau comme un groupe qui compte. Conscients de l’enjeu que représente la « sinitude » dans un contexte socio-économique en mutation, les Chinois du Laos pratiquent une sorte de syncrétisme culturel qui leur offre des options plus diversifiées et accroît leur marge de manœuvre dans la société laotienne contemporaine. A ces « Chinois du Laos » on peut dorénavant opposer les « nouveaux Chinois au Laos » qui tout en participant indirectement à la renaissance du premier groupe, s’en distinguent par leur conscience identitaire et leur mode de vie particuliers. A ce jour, la plupart de ces nouveaux arrivants souhaitent limiter leur séjour à la durée de leur contrat d’expatriation. En revanche, pour les investisseurs privés et en particulier les Yunnanais venus tenter leur chance dans le nord du pays on peut se demander si une partie d’entre eux ne fera pas souche dans ce pays, participant de ce fait à l’émergence d’une nouvelle donne de la diaspora chinoise au Laos.

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